Texte
de la conférence faite à Saint Laurent du Var le 14 décembre
2000
par Cl.André, ex-chargé de cours à l'Institut des
L.O. de Paris.
L'histoire
du Tibet peut se diviser en 2 parties la première partie
avec l'établissement et la chute de la royauté dura
tout le premier millénaire et la seconde partie avec l'établissement
et la chute de la théocratie tout le second millénaire.
Nous verrons, au cours de ces 2 périodes, que les faits religieux
et laïques seront étroitement mêlés.
GEOGRAPHIE
Débutons par l'aspect général du pays et de ses habitants.
L'altitude moyenne se situe entre 4 et 5000m. Sa superficie est 4 à
5 fois celle de la France ou près du quart du territoire chinois.
Quant à sa population elle s'établit à 2 millions
d'habitants à comparer au 1 milliard 250 millions de chinois! Il
s'agit donc d'un pays aux conditions de vie extrêmes avec une densité
habitée faible. Notons ici sur cette carte les lieux les plus connus...
Le Tibet fut ignoré de l'antiquité. Pour aller en
Chine on le contournait par le col du Karakorum au nord du Cachemire et
les oasis du Turkestan. Il suffisait de remonter les fleuves de l'Himalaya
pour y pénétrer, me direz-vous ? En fait, au sud, les fleuves
traversent des montagnes aux flancs si raides qu'il s'agit souvent de
gorges impraticables. Si on trace un chemin de quelques dizaines de cm
permettant le passage d'un homme seul, il sera emporté à
la première pluie et la coulée ainsi créée
rendra encore plus difficile tout passage ultérieur. À l'est
du Tibet, pour atteindre la Chine, il faut franchir près de 2000km
de montagnes arides au nord ou boisées au sud... et certains endroits
au Sud sont tellement inaccessibles que l'on pense encore y trouver des
tribus de pygmées inconnues.
OROGENESE
Ce pays est caractérisé aussi par le fait qu'il alimente
tous les fleuves d'Extrême-Orient et en poussière la Chine.
Il est le fruit du dernier mouvement important de l'écorce terrestre.
En effet lorsque la plaque australienne a éclaté en trois
parties, la portion qui devait former l'Inde dans un rapide déplacement
vers le nord a surélevé les sédiments de la mer de
Thétis qui forment actuellement le relief des hauts-plateaux
tibétains. Si le choc a créé une faille d'où
ont jailli des basaltes et les roches dures qui forment le massif de l'Himalaya,
les sédiments qui forment les hauts-plateaux tibétains ne
sont pas consolidés et le relief est en constante érosion.
Le nord-ouest du pays n'a pas d'écoulement à la mer, d'où
de grands lacs et des stocks considérables de sel qui serviront
de base au commerce avec l'étranger. Le reste du pays servira de
berceau aux grands fleuves de l'Inde et de la Chine. Ces fleuves charrient
tous des quantités considérables d'alluvions et leurs eaux
sont rougeâtres. Dans toute la Chine du centre, l'air est pollué
par une poussière fine soufflant de l'ouest et l'eau coule brune
au robinet. Au Tibet même, un foulard sur la figure est indispensable
pour traverser les hauts-plateaux en été. Quand aux limons,
ils ont permis la richesse des pays environnants.
Il faut noter que toutes les civilisations antiques sont nées de
la même façon : en effet, alors que les rives des fleuves
n'étaient pas stabilisées par l'homme, les fleuves recouvraient
chaque année des vastes espaces de leurs limons, et l'agriculture
ne demandait aucun effort : le grain était semé, les porcs
tassaient le sol et on attendait la récolte. Les hommes, délivrés
du travail des champs, devenaient disponibles pour construire des Palais
et former des armées toujours sur le pied de guerre. Le même
processus s'est rencontré aussi bien pour Mohenjodaro (civilisation
de l'Indus), le Fleuve jaune et le Yangtse que pour le Nil et la Mésopotamie.
Ces fleuves nourrissant les peuples, l'Inde vénère depuis
l'antiquité le Mont Kailash, au sud du Tibet oriental, à
proximité duquel les quatre grands fleuves de l'Inde prennent leur
source. Chaque année des milliers de pèlerins en font le
tour. C'est aussi de nos jours un lieu de prédilection pour les
occidentaux amateurs de trekking, un "must" qu'il convient de
ne pas manquer. Ce qui devait aussi fasciner les populations ce sont ces
sommets ayant 3 ou 4 faces taillées comme des diamants et dirigés
vers le ciel et capables de renvoyer les rayons du soleil à des
milliers de kilomètres.
LE YAK
Sans le yak, qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde, le
pays serait inhabité. L'animal résiste aux froids les plus
rudes, -30 ou -40°. Les nuits d'hiver ne lui font pas peur même
lorsque le vent souffle. Il fournit tout : la viande, le lait dont on
fera du beurre et l'huile le combustible des lampes, les poils longs serviront
pour les cordes, les vêtements, les couvertures et le feutre des
tentes, la bouse pour combustible, et qui ne servira que pour chauffer
l'eau du thé car elle n'est pas assez énergétique
pour réchauffer une maison ou une tente. Le yak, en fait le dzo
servira quotidiennement comme animal de bât, doux et au pied sûr
dans le passage des cols. Le sol reste gelé entre 6 et 8 mois de
l'année et il n'y a aucun arbre visible. Qui dit ni arbre, ni charbon,
dit absence de chauffage l'hiver et impossibilité d'enterrer ses
morts. Seule consolation, le climat est très sain, les ciels sont
très bleus, quasiment sans nuage, excepté ceux qui arrivent
à franchir ou à contourner l'Himalaya à certaines
périodes de l'année.
LA SOCIETE
TIBETAINE
Une population
de nomades est donc disséminée sur un immense territoire.
Elle élève des chevaux vendus, jadis à l'armée
chinoise et de tout temps aux paysans des vallées. La sagesse a
conduit ceux-ci à cultiver l'orge qui ne nécessite que trois
mois pour produire. Le grain sera stocké dans des silos en pierre
qui serviront pour les années de disette. Le climat sec et frais
permet une conservation quasi éternelle. Ces paysans construiront
villages et châteaux, traceront des routes, unifieront leurs coutumes
et leurs langues. Plus tard ils multiplieront les monastères et
toutes sortes de sites religieux. Les Tibétains sont un peuple
gai, courageux, toujours en activité, et si le monastère,
la maison,et les champs sont en ordre, on se réunira sous des tentes
blanches. Les hommes joueront aux dominos ou à d'autres jeux, on
récitera des poèmes épiques, on boira un alcool d'orge
peu alcoolisé, le chang, et les femmes formeront des rondes et
chanteront des mélopées. On effectuera régulièrement
des pèlerinages sur les sites sacrés qui peuvent être
des lacs, des montagnes, des monastères éloignés.
Les habitants des vallées seront, à richesse égale,
plus raffinés que les paysans d'Europe. Il y aura souvent dans
les maisons une petite bibliothèque, un oratoire, des bijoux, des
meubles décorés.
Comparé à nos cerveaux surmenés et saturés
d'informations, le cerveau des hommes des hauts-plateaux ressemble un
peu à celui d'une page vierge. Aussi est-il courant de rencontrer
chez des êtres apparemment rustres et misérables des hommes
capables de réciter des heures durant des légendes comme
celle de Gésar qui comprend plus de cent mille vers.
La position de la femme est importante, elle sera souvent chef de famille
et l'égal de l'homme. Ainsi sous un même toit, pour ne pas
morceler la propriété, une femme aura plusieurs maris ou
inversement. Quand les monastères absorbaient plus de 10% de la
population c'étaient les femmes qui tenaient le commerce en ville.
Les maisons sont en terre agglomérée ou en pierre avec terrasse.
Les pièces ouvrent parfois sur une cour intérieure. Sur
le toit, des "lungta" ou chevaux de vent dispersent les prières
au vent, sur la porte d'entrée un dieu grimaçant éloigne
les puissances du mal......
Ce pays ne connaît aucune cuisine traditionnelle digne de ce nom.
L'orge moulue et grillée, mélangée au thé
et au beurre ranci ou non servira de base à l'alimentation = c'est
la "tsampa". Toutefois, dans les vallées les plus basses
du sud et du sud-est, on trouvera des arbres et des légumes comme
chez nous. Les céréales connaissent la culture par alternance
avec jachère. Ces produits, acheminés vers la capitale,
étaient consommés jadis par les familles les plus riches,
qui pratiquaient une cuisine inspirée de la Chine ou de l'Inde.
Aujourd'hui ces produits sont, entre autres, consommés par les
touristes.
Enfin, la chasse ne fut pas considérée comme une activité
essentielle de l'homme des hauts-plateaux. S'il y avait beaucoup de forêts
à flanc de montagne au Sud-Est du Tibet, l'exploitation en était
très difficile. De plus le Tibétain a toujours respecté
la nature et l'environnement. Le métier de chasseur ou de bûcheron
était considéré comme dévalorisant. En effet,
il s'est toujours senti en état de survie, comme les animaux sauvages
qui l'entouraient. Les ciels d'un bleu d'une pureté exceptionnelle,
de même que les paysages grandioses, ont incité les habitants
à respecter la nature et les animaux, et à transcender vers
un idéal supérieur les forces qui étaient en leur
pouvoir.
HISTOIRE
Nous allons voir ce qui s'y est donc passé durant le premier millénaire.
Si l'on en croit les traditions de l'ancienne religion dénommée
Bön, l'homme serait issu d'un singe et d'une démone des rochers
qui vivaient dans la vallée du Yarlung. À l'endroit où
les jeunes singes jouaient dans cette vallée, on a appelé
un de ces villages Tsethang ou "plaine des jeux". C'est
aujourd'hui une des villes les plus importantes du Tibet. Récemment,
on a trouvé des traces de vie et des vestiges de villages néolithiques
au Tibet Central un site de fouilles est situé à 5km au
nord de Lhassa.
Hérodote (vers 350 av.JC) parle d'un pays habité
par des fourmis géantes qui fouissaient de sables d'or. De nos
jours on trouve des orpailleurs au nord de l'Himalaya qui laissent derrière
eux des monticules de sable qui ont la forme de termitières !!
On voit comment l'information peut se transformer et virer au fantastique.
Les premières incursions tibétaines en Chine proviennent
des tribus K'iang, originaires des steppes arides du nord-est du Tibet,
à l'époque des Tchéou, c'est-à-dire à
l'époque où vivaient Confucius et Lao-tseu, vers -550 avant
JC. Elles se poursuivront pendant plusieurs siècles.
BOUDDHA
À la même époque, naissait à Kapilavastu, dans
un petit État situé au sud du Népal actuel, le Prince
Siddharta, le futur Bouddha. Ses parents donc, lui assurèrent
une jeunesse dorée où toute contrariété lui
fut épargnée, (une situation similaire à celle que
connaît notre Jeunesse actuelle). Aussi, à l'adolescence,
déguisé en domestique, il sortit en cachette en ville et
découvrit toutes les misères du monde. Un soir, il croisa
un vieillard moribond, puis un homme atteint de la peste noire qui poussait
des cris de douleur et un cadavre qu'on portait sur un bûcher. Il
eut alors un choc et décida de changer sa destinée. Une
nuit, il quitta le palais définitivement et se joignit à
un groupe de moines qui prêchaient la bonne parole de ville en ville.
Il changea à plusieurs reprises de sectes. Les unes prêchaient
la miséricorde mais les moines en profitaient pour faire ripaille
avec la recette, d'autres prônaient jeûnes et privations,
mais cela n'apportait rien de positif, ni au corps, ni à l'esprit.
Alors il partit seul et quelques amis se joignirent à lui. Sans
dogme on ne pouvait haranguer la foule et subsister.
Un soir près de Gaya, il sentit venir à lui la révélation
de ce qu'il cherchait depuis longtemps et qu'on a appelé depuis
l'Illumination. Il s'assit sous un figuier et décida de ne pas
se relever avant d'avoir tout compris.
En effet, dans le monde, il y a les animaux, des êtres dépourvus
de conscience et donc non responsables de leurs actes, pour qui les malheurs
de l'existence sont sans explication. Il y a des individus dépourvus
de morale qui sont capables d'accomplir les plus sombres méfaits
pour satisfaire leurs désirs. Il y en a d'autres qui, bien que
non méchants, sont cupides et travaillent pour s'enrichir (sans
succès parfois) et enfin il y a ceux comme lui qui souhaitent une
existence où l'individu, dépassant son cas personnel, recherche
une vie saine, en harmonie avec la nature, les animaux et surtout les
autres hommes. De plus, cette force morale doit placer la conscience à
un niveau où les misères terrestres sont contrôlées
par l'esprit et sans effet sur notre mental. Ainsi la douleur et toutes
les misères terrestres pourront être dominées. L'esprit
de la conscience s'élèvera au niveau des dieux tels qu'on
pouvait les imaginer à cette époque : des êtres hors
des vicissitudes humaines et en dehors du temps.
Ce jour-là, il définit les douze étapes qui marquent
la vie d'un individu = la découverte des 5 sens, de la connaissance,
de l'amour, la création d'une famille, l'accumulation de biens,
etc. De plus la vie n'est-elle pas qu'une suite ininterrompue de naissances
et de renaissances. Cette conscience qui nous est donnée à
la naissance, si elle est bien utilisée, si elle est progressivement
enrichie par la connaissance, par l'humanisme et par beaucoup de générosité,
elle transcende l'humain vers un niveau de bonheur bien supérieur
encore. Ainsi toute action, toute parole, correspond à une énergie
qui aura un effet soit positif (vers dieu ou un idéal de l'homme),
soit négatif (vers l'animal) suivant qu'elle fera le bien ou le
mal. De même notre conscience laissera son empreinte dans l'esprit
des générations futures. On dira donc qu'elle ne meurt pas.
Les règles de vie sont simples. 1-Il faut éviter les conflits
et tout type d'agressivité. 2- Il faut rechercher la connaissance
et à toute occasion, essayer de s'instruire, car plus nous aurons
appris, plus nous serons près de la vérité. 3-Enfin
il faut vivre simplement en évitant tout désir superflu
(notamment matériel).
Quand le Bouddha eut définit les misères de l'homme, leurs
causes et comment y remédier, il se leva et rejoignit ses disciples
près de Bénares. Le Bouddhisme conquit progressivement toute
l'Asie. Cette religion, ou façon de penser, qui n'avait aucun dogme
précis, ni interdit sectaire, se vit peu encouragée, bien
plus tard, quand de nouveaux conflits embrasèrent l'Inde du Nord.
L'Indouisme et l'apologie de ses dieux guerriers prirent alors le dessus
et la doctrine bouddhiste continua à progresser vers le nord, au
Tibet, en Chine et au Japon, et vers le sud-est asiatique, à Ceylan,
en Thaïlande, au Cambodge, etc...
EXPANSION
DU BOUDDHISME
Après sa mort, des stèles, des stupas et des monuments furent
construits partout où il était passé. Ses disciples
se réunirent un an après sa mort à Rajagrha, capitale
du Maghada, en vue de rédiger le canon bouddhique. Celui-ci se
décompose en 3 "Corbeilles" (tripitaka)
: le Vinaya (la discipline), les sutras (les enseignements
du Bouddha) et l'Abbidharma (la métaphysique ou l'ordre
des choses). De nombreux conciles suivirent. On imagina qu'il ne serait
pas unique mais que d'autres Bouddhas, ceux qu'on devait dénommer
les Tathagathas l'avaient précédé, puis on
définit le statut des Boddhisatvas. Qui sont-ils? Ce sont
de futurs Bouddhas qui, avant d'être délivrés, sont
restés à mi-chemin, et se sont donné pour mission
d'aider les hommes à réduire le nombre de renaissances en
vue d'accéder plus rapidement à la délivrance. Ce
sont eux qui recevront nos prières. Lorsqu'on fixe l'image d'un
Bouddha, il n'y a pas de communication avec lui, car il est hors de ce
monde; par contre si on fixe un Boddhisatva, celui-ci vous transmettra
cette force que vous lui demandez. Vous connaissez tous les 2 autorités
religieuses que sont le Dalaï lama et le Panchen Lama. Comme
le Dalaï-lama qui représente un Boddhisatva,
il sera plus vénéré que le Panchen-Lama qui
ne représente qu'un Bouddha. En -250 avant JC, une école
émit l'hypothèse que le Bouddha et ses assimilés,
ne seraient que des produits hors de toute existence concrète.
Alors, au sein de l'Université indienne de Nalanda, un personnage
légendaire, Nagarjuna fonda l'école des Madhamika
(ou "voie moyenne" c'est-à-dire, entre existence concrète
et existence non concrète), qui eut une importance capitale dans
la diffusion de la religion en Chine et au Tibet. Les écritures
se multiplient et plus les textes raccourcissent plus ils sont chargés
de symboles dont le sens va nous échapper. Des textes qui se nomment
les Prajnaparamitas ou "extrême de l'intelligence transcendantale"
vont développer la doctrine du vide à travers des textes
dont le délire verbal nous dépasse, mais dont la lecture
nous rapproche de la délivrance. La notion de vacuité prend
forme. Le "tantrisme" ou exercice du bouddhisme qui s'en suivit,
copiant le thème du couple Shiva-Kali, introduit aussi des manifestations
féminines (dakkinis, yoginis,etc) dans le panthéon bouddhiste.
Cette nouvelle forme de bouddhisme s'appelle le Mahayana alors que sa
forme primitive dépouillée que l'on rencontre dans le sud-est
asiatique (Thaïlande, Birmanie, Cambodge, etc) se nomme Hinayana.
Je reviendrai sur le sujet ultérieurement. Les premiers textes
du Mahayana arriveront en Chine vers 65 ans après JC. De nombreux
voyageurs chinois, Fa-hien, Hiuan-tsang, etc.. viendront au Maghada pour
rechercher des ouvrages. Quelle route suivent-ils? La route de la soie,
celle qui traverse l'Himalaya dans le massif de Karakorum, la route même
qui sera empruntée par l'expédition Citroën.
Revenons à l'histoire et faisons un détour par Dunhuang
sur la route de la soie
On ne connaîtrait que peu de choses de l'histoire du Tibet du premier
millénaire sans la découverte d'une bibliothèque
tibétaine au Kansou, sur la route de la soie. Il y avait là
des grottes bouddhistes. Chaque grotte, dont les murs sont couverts de
Bouddhas peints, était entretenue héréditairement
par les membres d'une même famille ou d'un même clan. Elles
furent entretenues jusqu'au XIème siècle. Dans une de ces
grottes, un pan de mur cachait une ancienne bibliothèque qui avait
été murée en catastrophe devant l'arrivée
des armées chinoises, une première fois en 839, puis définitivement
en 1035. Aux européens de passage, vers 1900, des pasteurs mongols
proposèrent des rouleaux de manuscrits anciens. Les Anglais, flairant
la bonne affaire, dépêchèrent Sir Aurel Stein qui
réussit à ramener en 1905 plusieurs caisses de rouleaux,
qui se trouvent aujourd'hui à l'India Office à Londres.
En 1908, la Société Indochinoise de la Société
de géographie de Paris envoyait M.Paul Pelliot, qui grâce
à des connaissances plus approfondies en chinois, ouighour, tibétain,
mongol, brahmi, etc, pu faire un meilleur tri et ramena les uvres
les plus intéressantes qui restaient et qui se trouvent actuellement
à la Bibliothèque Nationale.
Ces textes confirmaient la tradition des premiers royaumes dans la vallée
du Yarlung (située au sud-ouest de Lhassa et qui
débouche sur le Bramapoutre). Le plus ancien château
connu, celui de Ombulhakang domine la vallée et daterait
de trois siècles avant notre ère. Un texte donne une longue
liste de rois (sur 30 générations) avant l'arrivée
sur le trône du roi confédérateur et bouddhiste Songtseng
Gampo en 641. Le premier roi de la liste, Gnya-khri-tsan-po, serait
issu de la dynastie des Licchavi qui régnait au Népal. Son
père l'avait déposé dans le Gange et il fut
sauvé par un paysan. Ses frères l'ayant recherché
pour le tuer, il franchit l'Himalaya. Les pasteurs de l'autre versant
le crurent tombé du ciel, ils l'adorèrent et en firent leur
roi. La première dynastie comprend 7 rois, tous magiques, non morts,
les Nam-la-Khri "qui trônent au ciel", ils n'ont laissé
aucune trace sur terre. Ils descendaient du ciel par une corde sur un
des monts aujourd'hui sacré du Tibet : le Bon-ri dans le Kong-po,
le Yarlha-shampo où le Yarlung prend sa source ou le Chag-po-ri,
la colline du Potala, et repartaient de même, à l'exception
du dernier : Drigum "tué par l'épée" qui
serait mort en 414 dans une rixe. Au cours d'une beuverie avec ses amis,
il les provoqua en duel et l'un d'eux accepta le combat. Pendant le combat,
il coupa par inadvertance la corde magique "dmu" qui le reliait
au ciel et fut mortellement blessé. Le vainqueur exila ses fils
et prit sa place. On dit que Dri-gum introduisit le premier le bouddhisme
et la nouvelle religion s'appela "Bön". Celle-ci
ajoutait au chamanisme issu de l'Empire des steppes, un nouveau dieu,
le Bouddha, ainsi que les concepts de la lutte contre la douleur et ses
causes, du cycle des renaissances et de la délivrance. La religion
s'appelle "Bön". Les annales historiques décrivent
le développement de l'irrigation, la plantation d'arbres, la construction
de ponts, l'usage du joug et de la charrue, le travail du cuivre, du fer
et de l'argent. Les historiens chinois notèrent l'excellence de
leurs armes, de leurs armures et cottes de mailles. Les rois utilisent
des maîtres de palais et des ministres. Il y avait 17 provinces
qui sont citées, soit par leur nom de clan, soit par leur nom de
territoire, soit par le nom des attributs ou animaux qui ornaient leurs
oriflammes.
Très fort pour la qualité de leurs armes et de leur cavalerie,
les tibétains vont s'enhardir mais ce ne sont pas eux, mais les
Turcs, qui vont menacer l'Empire chinois au 5ème siècle
de notre ère.
Ces Turcs comprenaient des peuples d'origine très différentes
auxquels la langue d'une petite tribu avait servi de ciment. Plutôt
que de les affronter, les chinois couvrirent de cadeaux les Tou-you-en
qui étaient à leur frontière ce qui eut effet de
les diviser (Turcs de l'est et Turcs de l'ouest). De plus les empereurs
chinois prirent l'habitude de leur offrir des princesses chinoises. Ce
détail sera à l'origine du conflit qui va naître entre
le Tibet et la Chine.
Revenons au Tibet. Au début du VIème siècle, le prince
tibétain Slon-tsan rétablit l'autorité royale sur
les 17 provinces et fut surnommé Nam-ri ou montagne céleste.
Il envoya son ministre Thonmi-sambhota en Inde pour ramener un système
d'orthographe et une grammaire. Les premiers textes connus datent du milieu
du 7ème siècle.
Quand Nam-ri mourut le pays était à peu près unifié.
Son armée comprenait plus de 100.000 hommes. On retrouve ici les
influences chinoises comme les découvertes réalisées
aux alentours de X'ian avec "l'armée enterrée".
"Suivant leur corps d'armée, les soldats possèdent
un sabre, un arc ou une lance. Ils portent des cuirasses et des casques,
leur tête est colorée d'ocre rouge ou de sang. Il y avait
5 classes de mandarins ou officiers : pour ceux de premier rang, l'insigne
était en turquoise, pour le second rang, en or, pour le troisième,
en or sur argent, pour le quatrième, en argent et pour le cinquième,
en cuivre. Chaque insigne était fixé sur une étoffe
portée sur l'épaule."
À cette époque les rois étaient inhumés dans
de grands tumulus. Ceux de la vallée du Yarlung sont
fameux, mais il en existe un peu partout dans les vallées au sud
du pays. Ces tumulus dont certains ont plus de 120m de coté se
visitent encore. Les noms des rois sont connus. Le cérémonial
des funérailles décrit par les textes de Touen-Houang est
identique à celui pratiqué précédemment en
Chine :"Quand le prince meurt, sa femme, ses domestiques, ses amis
se tuent et sont enterrés avec lui. On enterre aussi son arc, son
sabre, ses joyaux et les chevaux qu'il a montés. Au-dessus on fait
un tertre et un lieu de sacrifice."
LES DEUX
MARIAGES DE SONGTSEN GAMPO
Le fils de Nam-ri, Songtsen Gampo devint roi à 13 ans. Il
se maria 2 fois. Le premier mariage eut lieu avec la Princesse Bri-Tsum,
fille du roi du Népal Amçuvarman. Celle-ci, fervente bouddhiste,
apporta dans ses bagages une statue de Bouddha en or. Ensuite le roi envoya
une ambassade auprès de l'empereur chinois T'ai-tsong, le deuxième
de la dynastie des Tsang, pour réclamer une princesse chinoise,
mais il essuya un refus. Il attribua ce refus aux Turcs de l'est, les
Tou-yu-houen. Les armées tibétaines envahirent le territoire
des Tou-yu-houen puis pénétrèrent en Chine. L'Empereur
de Chine, après 7 années de combats, ne pouvant réduire
les armées tibétaines, offrit en mariage la Princesse Wen-tcheng.
Selon les annales chinoises, le roi se porta à la rencontre de
sa fiancée et pratiqua les rites chinois au Tribunal des rites
à Ho-yuan dans le Kansou. Il fut confondu par la splendeur et les
coutumes du grand Empire(chinois). En remerciement, il offrit 1100 onces
d'or.
La vallée du Yarlung était trop réduite pour
abriter une capitale conforme aux vux du nouveau roi. De plus une
inondation catastrophique avait ruiné cette vallée. Le roi
décida alors de s'installer à Lhassa et d'y construire
un nouveau palais qui aura pour nom le Potala, ou palais rouge
pour sa femme chinoise. Comme la nouvelle femme chinoise avait apporté
également une statue de Bouddha dans ses bagages, un grand
temple fut édifié, le Jokhang, pour abriter cette
statue. Mais, à 200m du but, le chariot qui la transportait s'étant
enlisé dans un terrain marécageux, on assècha cet
endroit et on construisit à cet emplacement un autre temple, celui
de Ramoche. Après de multiples péripéties, la statue
rejoignit le Jokhang alors que la statue de la princesse Népalaise
trouva sa place dans le temple de Ramoche. Ces temples sont toujours présents
ainsi que les statues.
Jusqu'à l'arrivée du Vème Dalaï-lama
tous les rois résideront au Potala, mais se feront toujours
appeler rois du Yarlung.
Les princesses népalaise et chinoise étaient de ferventes
bouddhistes, rivalisant de zèle pour édifier des temples
et des monastères. Elles seront divinisées comme incarnations
de la déesse Tara, Tara verte pour la Népalaise
et Tara blanche pour la chinoise. Songtsen Gampo devint
très croyant et imposa des règles quasi monastiques à
la cour et à ses fonctionnaires!
Avec les mariages avec des Princesses étrangères, les échanges
vont se développer, l'encre, le papier puis le thé viendront
de Chine, les bijoux de l'Inde.
LES RELATIONS
SINO-TIBETAINES
Mais l'amitié
avec la Chine prit fin avec Songtsen Gampo. Ses successeurs vont
absorber le territoire des Tou-yu-houen qui bordait la Chine et les armées
tibétaines en 670 s'emparent de tout le Turkestan aux dépens
des Chinois, avant de pénétrer au Setchuan et au Yunan où
ils occuperont 18 préfectures. Le Népal fut aussi conquis.
Le Tibet est à nouveau très puissant et l'Empereur offre
une nouvelle princesse. Khri-song-lde-tsan épouse la princesse
Kin-tch'eng, mais la paix ne dure pas.
A la mort de Khri-song-lde-tsan, les souverains chinois refusant de traiter
les Tibétains en égaux, l'ambassadeur chinois refusant de
s'incliner devant le roi, les Tibétains reprirent les hostilités,
Ils occupèrent même la capitale chinoise Tch'ang-ngang en
763 et y intronisèrent un empereur fantoche qui ne régna
que peu de temps. Une stèle devant le Potala reproduit un de ces
traités signé avec la Chine et favorable aux Tibétains.
Le Turkestan allait rester dans leur pouvoir pendant près de 2
siècles. Les pratiques guerrières n'étaient pas tendres
: les Tibétains sont allés, dans une région, jusqu'à
tuer tous les jeunes de moins de trente ans et pour les autres, jusqu'à
couper les mains et arracher les yeux. Après cela, certaines villes
se rendaient sans résistance. Très souvent, les villes frontalières
changèrent de main.
A cette période le bouddhisme se propageait dans toute l'Asie en
suivant comme nous l'avons déjà noté la route traditionnelle
du Karakorum. A Cha-tcheou sur la route de la soie, un centre important
de calligraphie, celui-là même dont j'ai déjà
parlé, traduisait en tibétain et en chinois, les écritures
bouddhistes rédigées en sanskrit ou en pâli. Ce centre
de traduction permit de conserver les documents indiens les plus anciens
du bouddhisme qui nous sont parvenus, toutes sortes de documents administratifs
montrant comment le pays était gouverné, ainsi que les récits
historiques retraçant l'histoire ancienne du Tibet. Chaque province
avait un préfet, un ou plusieurs chef(s) des 10.000, chef(s) des
1000,etc...
Les princes tibétains avaient pris l'habitude de se former, soit
en Chine dans les Ecoles de Loi (genre ENA), soit en Inde dans des Universités
bouddhistes. De retour au pays, ils ramenaient souvent avec eux des religieux
(ou des savants) indiens et chinois. De l'Inde, un magicien originaire
de l'Indoukush Padma-sambava devait introduire plus avant la doctrine
tantrique du Mahayana. Cette fois ci, il s'agissait de mettre en
uvre les forces occultes pour assurer la délivrance et éviter
la succession infinie des renaissances. On pouvait utiliser les méthodes
du chamanisme, mais avec des objectifs nouveaux. Padma-sambava
réussit à s'imposer auprès des Tibétains après
avoir triomphé de tous les magiciens Bön-po, qu'il
provoqua les uns après les autres. Sous son impulsion, le grand
temple de Samye fut construit en 12 ans (vers 775) en prenant pour
modèle un temple indien (peut-être celui de Nalanda).
Il fit construire également de nombreux temples entre Lhassa
et la vallée du Yarlung. A la même époque,
un maître chinois enseignait le quiétisme à Lhassa
avec un succès grandissant. Khri-song-lde-tsan fit venir des lettrés
indiens dont Cantarakshita et Kalamika pour contrer le groupe chinois.
Le conflit s'envenimant, pour calmer les esprits, un grand Concile religieux
se tint à Lhassa vers 782 pour départager le maître
chinois et le maître indien. Les débats durèrent 3
ans. Nous en avons un procès-verbal complet en chinois et de nombreux
commentaires en tibétain. L'indien qui prêchait l'atteinte
graduelle à la délivrance devait l'emporter devant le maître
chinois qui prêchait l'atteinte subite par la suppression de toute
réflexion, de toute activité mentale. Dans un cas, c'est
la multiplication de nos actions pures, voire de nos exorcismes, qui va
déterminer notre destin, il y aura de nombreuses réincarnations
nécessaires. Dans l'autre cas, c'est en développant en nous
la doctrine de la vacuité, c'est-à-dire du vide cérébral,
que va jaillir, comme le diamant pur, la délivrance (Réf=l'illumination
de Bouddha). Cette division, entre "méthode graduelle"
et "méthode subite", pour garder la phraséologie
tibétaine, a souvent existé dans les guerres de religions,
on y trouve le ferment des divisions humaines :les schismes de la religion
chrétienne : cathares, bolomiles, réformés, jansénistes,
la droite et la gauche, etc... le cerveau droit et le cerveau gauche.
Cette forme de débat religieux avec questions et réponses
est absolument identique à celle que nous connaissons actuellement
dans les monastères tibétains. A une question brève
et percutante doit jaillir une réponse dûment documentée.
C'est le jeu de tous les jeunes moines pratiquent avant d'entrer en cours.
A l'issue du Concile de Lhassa, le parti chinois qui représentait
l'ennemi traditionnel ne pouvait être que perdant. Il quitta Lhassa
pour Cha-tcheou où nous perdons sa trace.
Le dernier grand roi sera Ral-pa-chen ou le chevelu. Plus dévot
que guerrier, il va signer des alliances avec la Chine en 821 et 822.
Une stèle commémorative fut placée devant l'entrée
du Jokhang, le grand temple de Lhassa, elle y est toujours,
derrière un mur pour la protéger des graffiti....
Pour favoriser la doctrine Madyamikha ou voie moyenne, dont je vous ai
déjà parlé, il va encourager la diffusion d'ouvrages
de lecture assez difficile "les Prajna-paramitas" qui prônent
un nihilisme absolu. Il existe des versions en 100 000, 25 000, 8 000
versets et un résumé en 2 pages seulement. En Occident,
si Hamlet dit : être ou ne pas être, Nagarjuna dit : ni être,
ni non-être. La vérité est hors de toute logique,
elle est hors de nous. Suivez-vous ? Pas trop. il en fut de même
à cette époque. Un bouddhisme qui ne prêchait
que la théorie du vide universel n'était guère viable
en dehors d'une élite d'intellectuels. Précurseur des méthodes
communistes, il va redistribuer les terres agricoles aux paysans, par
souci d'équité. Il va même le faire 3 fois à
3 ans d'intervalle ! Un jour de 836, Ralpachen fut étranglé
par son frère Langdarma sous la pression des traditionalistes Bön.
Langdarma prit sa place et renvoya les moines étrangers. Mais comme
la vie tenait à peu de choses en ce temps-là, il fut assassiné
à son tour par un moine déguisé en danseur pendant
une fête. Celui-ci décocha une flèche empoisonnée
qui lui transperça le cou et le cloua à son siège.
Pour fuir, il usa d'un stratagème, il sauta sur un cheval noir,
traversa la rivière et le cheval ressorti blanc comme la cape qu'il
avait retournée. Les poursuivants, surpris et effrayés,
abandonnèrent la poursuite et cela fit un bon sujet pour les représentations
théâtrales à venir. Langdarma y sera représenté
avec une tête de démon portant de petites cornes. Après
sa mort, les fils de Ralpachen se partagent les préfectures. Les
garnisons aux frontières se deégarnissent.C'est alors que
la Chine en profite pour récupérer les territoires perdus
et la bibliothèque de Cha-tcheou sera murée. A partir de
cette époque, le Tibet va se refermer sur lui-même.
De cette période glorieuse, le Tibet sera considéré
comme un voisin respecté de la Chine, le représentant du
Tibet étant toujours assis à la droite de l'Empereur
jusqu'à l'arrivée de la République (et le représentant
des Mongols à sa gauche).
LES ORDRES
MONASTIQUES
Au IXème siècle, alors que le bouddhisme déclinait
en Inde, que les Mongols devenaient les voisins les plus turbulents de
la Chine, et que les musulmans prenaient position en Afghanistan, la dynastie
royale des Phagmogrubpa allait réunifier le pays. Elle devait perdurer
jusqu'à l'arrivée des Dalaï-lamas et encourager
la diffusion du bouddhisme et l'installation de nouveaux monastères
dans tout le pays.
Atisha arriva en 1035 et fonda l'ordre des Kadam-pa. Son
disciple "Dogmi" l'homme des pâturages ramena de l'Inde
l'utilisation des pratiques sexuelles (lam-bre) pour la réalisation
mystique. La religion se répand dans tout le pays profondément.
On traduira les ouvrages qui ne l'étaient pas encore et qui formeront
le Kandjour en 84 ou 108 volumes. Les textes attribués aux Saints
seront regroupées dans un autre ouvrage : le Tangjour. Konchog
Gyalpo fonda le monastère de Sakya en 1073. Marpa
transmit à son disciple Milarepa l'art de la récitation
des poèmes qu'il avait appris au Bengale et qui sont à l'origine
de l'ordre des Kagyüpa. S'appuyant sur les descendants de
Milarepa, Düsum Kyenpa fonda l'ordre des Karma-pa (chapeaux
noirs). Ils furent les premiers à inaugurer le système des
réincarnations successives qui sera, plus tard, adopté pour
les Dalaï et Panchen Lamas. Des ordres monastiques
et leurs chapelets de monastères se multiplient partout : Kadam-pa,
Kargyû-pa, Karma-pa, Digung-pa, Tsal-pa Phagmodug-pa, Taglung-pa,
Dug-pa. Chacun va rédiger des copies arrangées des écritures
canoniques. Ils ne cesseront de faire du prosélytisme et d'envoyer
sur les routes des moines qui vont dérouler les tankas et réciter
les textes dont les personnages figurent sur ces peintures. D'autres moines
vont se réfugier dans des grottes et vivront à l'abri du
monde. Ces ordres vont devenir puissants. Plus tard, ils ne s'opposeront
pas entre eux mais à l'ordre des Gelugpa, opposition qui perdurera
jusqu'à nos jours, et qui portera en germe tous les malheurs que
le pays va rencontrer.
De même que l'Occident vénère ses saints, le tantrisme
tibétain va vénérer les siens et développer
un Panthéon. Il existe des personnages aux noms bizarres Tathagatas,
Dyani-Bouddhas, des Lokapalas, les boddhisatvas,
les représentations des 2 princesses, les Taras verte et
blanche, et pour finir les représentations des saints terrestres
: Ananda le principal disciple de Bouddha, Padma-sambava,
Marpa, Milarepa, plus tard Tsong-khapa, etc... Ils sont représentés
généralement les jambes repliées, dans la position
du Bouddha au moment de l'Illumination. Leur siège est recouvert
de fleurs de lotus. Cette fleur symbolise la pureté, elle a en
effet une pureté particulière qui semble trop excessive
pour être vraie, alors même qu'elle pousse dans des fleuves
qui charrient beaucoup d'impuretés, c'est le moins qu'on puisse
dire. La position des mains (mudra) rappellera sa fonction : la
méditation, l'illumination, l'argumentation,etc.. On trouve aussi
des personnages peints ou représentés en sculptures autour
du grand Bouddha sur l'autel sous forme de représentations
courroucées qui auront pour but d'éloigner les démons
et les maléfices et enfin des peintures dénommées
"thankas" qui tapissaient par centaines, jadis, l'intérieur
des monastères. Ces peintures tendues entre 2 baguettes de bois
se roulaient facilement et étaient utilisées par les lamas
qui prêchaient dans les villages et dont les personnages peints
illustraient les textes que ces lamas récitaient.
Très superstitieux, les Tibétains vont construire des édifices
religieux à toute occasion et notamment pour commémorer
tout lieu où vécut un homme vénéré
pour sa sainteté. Les monastères (gompa) sont comme
je l'ai dit, nombreux et représentent souvent de petites villes.
Seul lieu où le savoir était jadis dispensé, on trouve
autour du Grand Hall d'Assemblée, les pavillons d'astrologie, de
médecine, de théologie, de grammaire, de philosophie, etc...
Il y aura aussi la résidence des grands abbés et celles
plus modestes des lamas et de leurs assistants. Jadis les toits des grands
bâtiments étaient couverts de feuilles d'or et c'était
un régal pour les yeux.
Chaque jour, le matin de préférence, les habitants des alentours
et les pèlerins font le "khorwa", le tour du monastère,
font tourner avec leurs mains les moulins à prières
disposés dans les cours, le long du parcours, et pénètrent
dans les temples pour déposer sur les différents autels
une petite pièce (en général c'est le petit enfant
qui le fera) et un peu de beurre pour alimenter les lampes à
huile qui brûlent sans discontinuer, on grommelle quelques prières
et le tout se fait assez rapidement comme si le travail des champs attendait.
L'autel est entouré de personnages grimaçants, seuls ceux
qui ont quelque chose à se reprocher s'en rendront compte, les
autres y voient au contraire un apaisement, un lieu où le mal est
absent. Parfois les moines sont présents assis sur des coffres
bas. Les prières ont lieu le matin dès le lever du jour,
on y récite des passages entiers des sutras, des textes canoniques.
La voix est chantante, un peu traînante, avec des variations de
tons assez mélodiques et, à intervalles réguliers,
les instruments se mêlent aux voix. Mais pèlerins et moines
ne se mélangent pas chacun son karma.
EMERGENCE
DE LA THEOCRATIE
Ici nous allons aborder la seconde partie avec l'émergence de la
théocratie.
La dynastie royale des Phagmogrubpa fournira des soldats aux empereurs
de Chine et écrasera les armées musulmanes quand celles-ci
voudront envahir l'ouest du Tibet. Ce sera leur dernière
action militaire.
Leurs voisins Mongols en étaient restés aux pratiques des
shamanes et le père de Gengis Khan avait alors attiré
des représentants de toutes les religions dans sa capitale en vue
de choisir la plus crédible. Les représentants du Pape conduits
par Guillaume de Rubrouk avaient fait une excellente impression par la
qualité de leur conviction, mais les moines allèrent un
jour lui raconter que tous les non-chrétiens finissaient leurs
jours en enfer. Son père serait donc allé aux enfers ainsi
que tous ses prédécesseurs. L'ambassade eut 24 heures pour
quitter les lieux ! Notez là qu'on peut être rustre et avoir
du bon sens. La religion Nestorienne des chrétiens d'Asie était
présente, bien considérée et aurait pu l'emporter.
Mais, suivant la même démarche que les Tibétains,
les Mongols furent attirés par leur forme de bouddhisme et le petit-fils
de Gengis-Khan invita à sa cour le Supérieur du monastère
de Sakya, Sakya-pandita. Quelques années plus tard, en 1260,
Koubilaï-Khan appela auprès de lui un autre abbé
tibétain célèbre, Phags-pa, et considéra Lhassa
comme une ville sacrée. Cette protection allait assurer la paix
au Tibet pour longtemps.
L'ECOLE GELUGPA
Venons-en au développement de la secte des Gelugpa ou des réformateurs.
Tsong-khapa naquit vers 1360. Avec lui commence une nouvelle renaissance
du Bouddhisme. A l'endroit où il naquit, on éleva
une chapelle, quand il mourut on ajouta un chörten, puis une
génération après, un grand monastère "Kumbum"
100 000 images, (du nom des 100 000 images qui ornaient alors le chörten).
Devenu influent, il voulut rétablir une doctrine plus pure, en
interdisant 1-la magie, 2- les incantations (mantras) qui engendrent la
débauche et la sorcellerie, 3- les boissons alcoolisées,
et 4- le célibat des prêtres. Il imposa la couleur jaune
comme l'avait prescrit le Bouddha. Ce nouvel ordre s'appellera
Gelugpa soit "secte des bonnets jaunes" de la couleur
de leur coiffe par opposition aux précédentes écoles
qui sont habillés tout en rouge.
Tsong-khapa fonda de nombreux monastères : Ganden
en 1410 à 20km au nord-est de Lhassa, Drepung en
1416 à 5km au N-O de Lhassa, Sera en 1419 à 4km au
nord de Lhassa, Gyantse en 1425 dans le Tsang, etc... Ces
monastères comptent parmi les plus grands du Tibet, ils hébergeaient
chacun plusieurs dizaines de milliers de moines. Après avoir écrit
plus de quarante ouvrages Tsong-khapa meurt en 1419. Son successeur
au monastère de Ganden, Gedundup fondera à Shigatse,
au centre des Églises rouges, le monastère de Tashilhunpo
en 1447, lequel deviendra ultérieurement la résidence des
Tashi-lamas ou Panchen-lamas. De plus, Gedundup sera reconnu pontife,
c'est-à-dire Chef des Eglises bouddhistes en Chine, par la dynastie
Ming, qui a hérité des Mongols, la suzeraineté sur
le Tibet. Cette suzeraineté perdurera jusqu'aux années
50 et sera plus nominale que réelle. Elle avait pour contrepartie
l'autorité spirituelle des lamas sur l'Empire chinois. C'est ainsi
que l'Empereur de Chine sera une marche en dessous du Dalaï-lama
ou du Grand-lama de Pékin pour les consultations d'ordre spirituel
et inversement pour les réunions d'ordre temporel. Il faut savoir
également que tous les ans, depuis Sontsen Gampo jusqu'au
début du XX° siècle, une ambassade, dans chaque sens,
apportait des cadeaux pour sceller la paix et l'amitié entre les
2 peuples. Comme cette caravane était bien protégée,
de nombreux marchands s'y joignaient et elle s'étendait sur plusieurs
kilomètres. Même en cas de guerre, l'usage persistait dans
le but de faire valoir son bon droit et de rechercher une négociation.
A la mort de Gedundup, le système de réincarnation que nous
connaissons se met en place, et 14 Dalaï-lamas se succéderont
jusqu'à nos jours : Océan des Mérites, de Raison,
de la Mélodie, de Science, etc... jusqu'à "Océan
Gardien de la sagesse". Ils resteront sous la protection temporelle
des Mongols et de la Chine. La méthode de mise en place de jeunes
"dieux-vivants" a tout pour choquer. Toutefois, il ne faut y
voir qu'une façon de faire survivre un saint, de la même
façon que chez nous, le pape est le successeur de l'apôtre
Pierre. Le principe est le même, le mode de sélection est
différent pour tenir compte du principe de ré-incarnation.
RESUME
En résumé,
il faut discerner les quatre grandes périodes suivantes:
2-6ème siècle > Bön (Pratiques shamanistes
+ quelques notions de Bouddhisme)
7-10ème siècle > Nyingmapas (Bouddhisme incluant
des pratiques shamanistes)
10-15ème siècle > Karmapas, Kargyugpas, Sakyapas,
etc... (Bouddhisme incluant des pratiques tantriques)
15-20ème siècle > Gelugpas (Bouddhisme avec des
pratiques tantriques marginales)
Alors que la présence de courants différents n'avait posé
aucun ou peu de problèmes précédemment parmi les
différentes écoles religieuses, le problème de la
supériorité des Gelugpa sera à l'origine de
nombreux conflits larvés, les anciennes écoles n'acceptant
pas de se plier aux nouvelles règles de discipline.
En 1630, les partisans des anciennes religions situés au sud du
pays s'allient aux derniers Rois tibétains et à des chefs
mongols dissidents. Ils s'emparent de Lhassa alors que le 4ème
Dalaï-lama était un enfant. Celui-ci réussit
à s'enfuire et fit appel aux Mongols qui, après maintes
péripéties, reprirent le contrôle du pays. Alors que
le 4ème Dalaï-lama avait résidé au monastère
de Drepung à 3km au N-O de Lhassa, le 5ème
s'installera dans le Palais royal des rois déchus, au Potala.
Le monastère de Tashilhunpo qui avait été
mis à sac, fut reconstruit et le Dalaï-lama nomma son
précepteur, Chos-kyi-gyal-tsan, qui l'avait soutenu pendant cette
période difficile, Panchen-Lama, et la réincarnation
du Bouddha Amitabha. Le Dalaï-Lama est considéré
comme la réincarnation du Boddhisatva Avalokiteshvara. A
cette époque, l'Églises tibétaine comprenait 2 autres
Grands Bouddhas vivants qui étaient les représentants
du Dalaï-lama à Ourga et à Pékin.
Une anecdote : pendant cette guerre, un soldat prisonnier "rouge"
fut accusé d'avoir tué un gardien par magie, c'est-à-dire
en récitant des mantras. Pour prouver son innocence, il
dut montrer sa langue, car on dit que la langue devient noire si on profère
un mantra. Comme sa langue n'était pas noire, on fit alors
comparaître devant les mandarins tous les prisonniers pour montrer
leur langue. Cet exercice fut considéré dans un premier
temps comme un acte de soumission puis devint la forme de salut habituel
des Tibétains avant l'occupation chinoise.
L'entente ne sera qu'apparente entre le Dalaï-Lama, le Panchen
Lama, le Régent et le représentant de la Chine à
Lhassa. Le 6ème Dalaï-Lama sera un adepte des
femmes, des plaisirs et qui composera une grande quantité de poèmes
d'amour : il sera déposé. Un autre sera assassiné
par le Régent qui prendra sa place en dissimulant sa mort pendant
16 ans. Il y eut des luttes et des meurtres à répétition,
car le parti chinois voulait toujours imposer un enfant issu d'une famille
pro-chinoise. De plus les partisans de l'ancienne religion étaient
toujours en tête des rebellions. En 1727 une armée chinoise
vint encore rétablir l'ordre à Lhassa. Idem en 1752.
Heureusement que par la suite les Dalaï-Lamas auront tous
une conduite exemplaire. Il faut également noter que les Panchen-lamas
refuseront toujours de prendre la place des Dalaï-lamas, lorsque
l'occasion sera propice et même sous la pression des Chinois.
À cette époque, des missionnaires jésuites, puis
capucins tentent de s'installer à 4 reprises à Lhassa,
d'autres dans l'ouest du Tibet, au Lhadak et au Zanskar.
Mais comme ils font un prosélytisme excessif, ils se font remarquer
et sont chassés les uns après les autres. C'est alors que
les Chinois obligeront les Tibétains à pratiquer une politique
d'interdiction du pays aux étrangers.
En 1778, les Gurkhas annexent le Sikkim puis, encouragés par les
partisans de la religion "rouge" qui souhaitaient restaurer
leur autorité religieuse, envahissent la province du Tsang. Ils
en seront chassés par une armée chinoise en 1791. Cette
fois, la Chine, en se retirant, laissera un certain nombre de petites
garnisons dans le pays.
La paix sera ensuite maintenue pendant tout le XIXème siècle.
C'est pendant cette période que, bravant les interdits, des voyageurs
européens essaient de pénétrer au Tibet. Généralement,
ils sont refoulés avant d'atteindre Lhassa. Certains sont
déroutés avant d'atteindre Lhassa et vont visiter
Shigatse. Les premiers récits sont publiés et entretiennent
le mystère. Pour mieux connaître le pays, le Survey of India
envoie des pandits indiens qui se joindront facilement aux marchands Népalais
qui commercent avec les grandes villes tibétaines. Ils vont faire
des relevés très précis et rédiger des carnets
de route qui fournirent pendant longtemps et même de nos jours les
seuls renseignements que nous possédons sur les zones les plus
reculées du Tibet.
HISTOIRE AU 19° ET 20° SIECLES
À la fin du XIXème siècle, après avoir entièrement
pacifié les marches indiennes de l'Himalaya, les Anglais
s'affolent quand ils apprennent que la Russie a des visées sur
le Tibet. En effet, des moines bouriates bouddhistes avaient un
pavillon dans l'enceinte du monastère de Drepung et un des
leurs participait du gouvernement. Un capitaine de l'armée tsariste
habillé en moine vint même résider là pendant
plus d'un an. Le pouvoir Chinois, très affaibli dans son conflit
avec les Occidentaux et le Japon, avait dégarni les garnisons à
ses frontières. Les Tibétains faisaient tout pour ignorer
les pressions anglaises. Un Traité de Commerce signé en
1890 n'ayant jamais connu un début d'exécution, le courrier
du Vice-Roi des Indes étant renvoyé sans être ouvert
et aucune discussion n'étant donc possible, une expédition
anglaise franchit la frontière en 1903 et arrive à Lhassa
le 3 Août 1904. Le Dalaï-Lama se réfugie à
Ourga chez les Mongols puis se rend au monastère de Kumbum
et à Pékin où il assiste même aux funérailles
de l'impératrice Tseu-hi et de son fils adoptif. Pendant ce temps,
le gouvernement tibétain signe avec les Anglais et les Chinois
un nouveau Traité. Les Anglais se retirent et c'est alors que les
choses s'envenimèrent avec les Chinois. Ceux-ci n'avaient pu intervenir
dans le conflit avec les Anglais et ayant perdu la face dans cette affaire,
un général chinois de la province du Kham, à l'est
du pays, multiplia les vexations envers les Tibétains. Ceux-ci
se révoltèrent, mais après quelques succès,
furent battus et les troupes chinoises, qui n'étaient pas nombreuses,
forcèrent les lignes tibétaines par surprise et occupèrent
Lhassa en 1910, alors même que le Dalaï-lama venait
d'y rentrer. Cette fois-ci, il reprit le chemin de l'exil en demandant
asile aux Anglais et résida quelque temps à Kalimpong. Sans
soutien de la mère patrie et compte tenu du désordre qui
régnait en Chine, les troupes chinoises ne purent se maintenir
et le Dalaï-lama rentrait à Lhassa en 1912,
réoccupait les territoires perdus dans la province du Kham et proclamait
unilatéralement l'indépendance du Tibet. Cette indépendance
fut effective jusqu'en 1959. Le Tibet ne cherchera pas à
échanger des lettres de créances et des ambassadeurs avec
les pays occidentaux (il est probable que peu de pays auraient alors accepté
de lâcher la Chine). Il n'en profitera pas pour se débarrasser
définitivement de la tutelle chinoise, préférant
une situation où les Chinois qui résidaient sur son territoire
n'avaient aucun pouvoir, plutôt que d'être obligé de
prendre des initiatives et de pratiquer des échanges avec les nations
occidentales dont on se méfiait. Le gouvernement tibétain
se contentera de tolérer les résidences des représentants
de la Chine, du Népal et de la Grande Bretagne à Lhassa
et à Gyantse.
Le XIIIème Dalaï-Lama fut le seul à gouverner
souverainement le pays. Toutefois le Conseil qu'il présidait ne
chercha pas à donner des responsabilités aux fils des familles
aisées qui avaient fréquenté les Collèges
britanniques et qui auraient pu amener quelques changements novateurs.
Après sa mort en 1933, un Conseil de Régence se mit en place
et le 14ème Dalaï-Lama fut recherché.
Alors que la révolution industrielle bouleversait notre mode de
vie, ce pays restait à l'écart de tout progrès. En
effet, il restait vraiment trop pauvre en richesses naturelles pour envisager
un mode de vie différent et pour attirer les convoitises des compagnies
étrangères. Si les habitants des vallées les plus
riches qui ne couvrent que 1% du territoire pouvaient prétendre
aux bienfaits de la science, le reste de la population n'avait aucun avenir,
ce qui conduisait à une société à deux vitesses,
et cela personne ne le désirait.
Tous les voyageurs qui visitèrent ce pays devaient en garder un
souvenir impérissable, non seulement pour la beauté des
paysages mais parce que les habitants étaient attachants. On connaît
les livres d'Alexandra David Neel. Que dit le général
anglais Younghusband qui dirigeait l'expédition anglaise
au Tibet"Au moment de quitter la ville, je grimpais seul sur la montagne
la plus proche afin de contempler pour la dernière fois la vallée
de Lhassa. Je me tournais vers la ville sainte voilée d'une
brume pourpre et je réfléchis sur ce que m'avait dit Ti
Rimpoche (le ministre tibétain) quand nous nous étions quittés.
Je fus alors insensiblement envahi par une sorte d'exaltation délicieuse,
par une immense bonne volonté. Cette joie ne cessa de grandir jusqu'à
me faire vibrer le cur avec une force extrème; plus jamais
je ne pourrai avoir de mauvaises pensées, jamais plus être
l'ennemi d'un autre être humain, toute la nature, toute l'humanité
étaient baignées dans une lumineuse splendeur rose et l'avenir
ne serait plus désormais que clarté et joie rayonnante."
Après l'expédition, le représentant de la Couronne
Britannique Sir Charles Bell signe des traités de paix avec la
Russie, la Chine, etc... puis se démet de ses fonctions pour se
consacrer à la civilisation tibétaine. Il achète
une maison à Lhassa et rédige de nombreux ouvrages
pour faire connaître ce pays. De nombreux officiers de l'expédition
également se fixeront à la frontière tibétaine
près de Kalimpong. Richardson, le représentant britannique
à Lhassa, resta jusqu'à l'arrivée des Chinois,
refusant toute promotion et même de prendre certains congés
en Angleterre. Si vous n'avez pas lu le livre, je suppose que vous avez
vu le film :" 7 ans au Tibet", qui narre comment deux occidentaux
étaient devenus amoureux de ce pays. Pourquoi, Heinrich Harrer
qui était un grand sportif, qui avait participé aux Jeux
Olympiques, avait fait la face nord de l'Eiger en plein hiver et en solitaire
en 1938 et connu le luxe et les honneurs, renonca-t-il, comme son camarade
Aufchneiter, de rentrer en Occident et voulu finir ses jours au Tibet?
L'INVASION
DU TIBET
La chance
allait tourner quand la Chine de Mao-Tse-Toung, après s'être
débarrassée des armées de Chang-kai-chek, décide
de récupérer son bien. Devant la menace, le Dalaï-lama
prend ses fonctions, par anticipation, à l'âge de 16
ans. La Chine pénètre au Tibet en 1950 et signe un
traité avec l'Inde qui entérinait le retour du Tibet au
sein de l'Empire chinois tout en garantissant le maintien de l'autonomie
interne du pays, de la tradition religieuse et de l'autorité du
Dalaï-Lama et du Panchen-Lama.
Alors un gouvernement favorable aux Chinois se met en place à Lhassa,
crée des Coopératives agricoles qui diversifient la production
céréalière. Les Chinois ne peuvent convaincre les
moines à travailler à la construction de nouvelles routes
et coupent les monastères de toutes ressources. Ils vident les
réserves d'orge des villages et quelques années après,
des famines comme le pays n'en avait jamais connues, vont faire entre
500 000 et 1 million de morts. Des émeutes où se mêlent
de nombreux lamas se multiplient dans tout le pays et le peuple
demande au Dalaï-lama de prendre la tête d'un soulèvement,
mais que faire devant des troupes prêtes à tirer sans discernement
? Le film "Kun-dun" retrace bien ces événements.
Les paysans fuient dans la montagne. Alors les avions chinois vont tirer
sur tout ce qui bouge sur les hauts-plateaux, déciment les animaux
à la mitrailleuse et jettent des appas empoisonnés. Des
espèces rares, comme le cheval de Prejwalski auraient disparu.
Il y aura des centaines de milliers de morts et ceux des hauts-plateaux
ne parleront plus. Dans les vallées, les enfants de plus de 2 ans
sont retirés à leur mère pour être envoyés
dans des camps à la frontière chinoise où ils recevront
une éducation 100% chinoise.
Le 10 mars 1959, la population de Lhassa, ayant appris que les
Chinois essayent d'attirer de Dalaï-lama dans un guet-apens,
se soulève et oblige ce dernier à fuir. Il se réfugie
contre son gré en Inde où le gouvernement lui assigna comme
résidence Dharamsala. Des centaines de milliers de Tibétains
le suivent alors en exil. Les lamas des anciennes religions Karmapa,
Kargyügpa, etc... seront les premiers à venir s'installer
en Occident, ils viendront diffuser la doctrine, la leur, où ils
font passer le message de leur différence, de leur mantras,
etc... et non le message du Bouddha qui est universel.
Si l'histoire s'était arrêtée là, il n'y aurait
eu que demi mal. Mais le pire était à venir. Le passage
de la révolution culturelle et des gardes rouges dans les années
70s eut pour conséquence le pillage des lieux culturels, l'incendie
des bibliothèques et la perte de nombreux textes rares qui dataient
de plus de 1000 ans, la destruction de près de 2000 édifices
religieux et monastères. Des rapports chinois notent 11 tonnes
d'or dans un seul de ces temples détruits. Toutes les richesses
accumulées par tout un peuple pendant des siècles étaient
réduites en cendres, dispersées ou volées.
Après la destruction de tous les livres tibétains, la campagne
de scolarisation oblige les Tibétains à pratiquer la langue
chinoise qui n'avait jamais été parlée chez eux.
Le drame est que le tibétain est une langue bâtie avec un
alphabet et qui peut donc facilement intégrer tout les apports
de vocabulaire de l'Occident. En obligeant les Tibétains à
passer par les signes chinois, ce qui signifie près de 10 années
perdues à apprendre les signes, la tâche est impossible et
relègue la population tibétaine au rang de sous-prolétariat
dans son propre pays. C'est odieux.
Le Panchen-Lama tente, le plus longtemps possible, de pactiser
avec les Chinois, mais va s'apercevoir que ceux-ci le trompent. Il rédige
alors un manifeste en 70 000 caractères chinois pour dénoncer
le génocide. Ce rapport nous est parvenu. Le Panchen-Lama
sera emprisonné, humilié publiquement et enfin empoisonné.
Alors que la procédure de recherche d'un successeur se met en place,
les Chinois font la sourde oreille mais les moines persistent et nomment,
sans en référer aux Chinois, un nouveau Panchen-Lama.
Le Dalaï-lama qui aurait dû, peut-être, temporairement
se taire, reconnaît l'enfant. Les Chinois (dont la susceptibilité
dépasse toujours toute mesure) vont réagir violemment =
ils vont emprisonner l'enfant et sa famille puis les faire disparaître.
Ils nomment un autre Panchen-Lama, fils d'une famille pro-chinoise,
et décident de rééduquer les moines des monastères
qui seront obligés de profaner le nom du Dalaï-Lama
et de détruire toute représentation de celui-ci. Des mini-émeutes
se multiplient et de nombreux moines disparaissent. En automne 97, un
froid exceptionnel décime les troupeaux des hauts plateaux au nord-est
de Lhassa, et plus de 50 000 nomades vont mourir de faim et de froid (les
greniers d'orge n'existent plus). Pour ne pas que l'Occident et les organisations
caritatives soient prévenues à temps, le seul occidental
qui travaillait à Lhassa pour le compte d'une association subventionnée
par la Communauté Européenne est alors expulsé avant
que la nouvelle ne puisse lui parvenir. On ne comprendra que 3 mois plus
tard.
Aujourd'hui, la campagne de ré-éducation se généralise
dans tout le pays, comme aux heures les plus sombres du communisme.
LE TIBET
AUJOURD'HUI
Malgré le nombre croissant de Chinois qui viennent occuper des
emplois administratifs au Tibet, les Tibétains continuent à
pratiquer leur foi et leur situation ressemble à celle qui fut
la nôtre en 1942. Alors même que des Chinois au Tibet
adoptent les murs du Tibet, que des Chinois en Chine même
critiquent l'attitude de leur gouvernement, l'Occident regarde tout cela
avec la plus grande indifférence.
Il existe d'autres peuples qui souffrent dans le monde, mais qui demain
ne demanderont qu'à en découdre avec leur voisins, à
renouer avec les guerres tribales.
Ici, il y a un peuple courageux et pacifique et cette relation avec le
bouddhisme qu'un fil invisible relie aux grands mouvements de pensées
de l'humanité, je pense entre autres aux stoïciens, aux philosophes
modernes. Récemment on me demandait comment situer le bouddhisme
à la fin de ce siècle ? Je répondis que le bouddhisme
demande de combattre l'agressivité, l'ignorance et le désir
de biens matériels (rappelez-vous, symbolisés par le coq,
le porc et le serpent dans la "Roue de la Vie"). Or les problèmes
que nous allons affronter ne sont-ils pas la lutte pour la paix, l'adaptation
de l'homme aux nouvelles technologies et le respect de l'environnement
lié au partage des richesses terrestres. Quel autre mode de pensée
pourrait mieux s'adapter à notre futur mode de vie si nous possédons
un minimum d'humanité ? Il y trouvera même une synthèse
entre des modes de pensée qui hier encore s'affrontaient (l'athéisme
et le religieux).
Après plusieurs séjours au Tibet, j'y ai découvert
une dimension de l'exercice du Bouddhisme qui m'avait échappé.
Notre quête universelle est bien de surmonter les souffrances, de
rechercher le bonheur, voire l'amour. Dans la recherche du Bonheur, l'Occident
a privilégié le travail qui permet l'accès à
l'argent puis à l'acquisition de menus plaisirs: des bijoux, la
jolie maison, les bons restaurants, la belle voiture, etc...Notre mode
de vie, notamment celui des Etats-Unis est devenu un modèle dans
le monde, du moins le croyons nous. Chez nous c'est le bonheur qu'on achète,
au Tibet, c'est l'amour donné et reçu qui fait le
sublime de la dimension bouddhiste de ce pays. Ici personne n'est prêt
à échanger son âme pour les mirages de l'Occident.
Ceci n'a échappé ni à Ch. Bell, à F.Younghusband,
à Alexandra David-Neel, à H. Harrer, ni à tous ceux
qui en quittant ce pays ont essuyé une larme, car ils quittaient
un environnement, un monde qu'ils ne retrouveraient nulle part ailleurs
et qui restera un modèle dans l'aventure humaine.
Quand on est Tibétain au Tibet aujourd'hui et qu'on a 20
ans, on ne pense pas à la moto que l'on va acheter ou au dernier
gadget vestimentaire à la mode. Au détour d'un chemin et
je vous parle de choses vécues, étant resté 2 nuits
au monastère de Rongbruk à 5400m, j'y ai rencontré
une équipe d'adolescents qui participaient à la reconstruction
du monastère. Ils étaient en général jeunes
et chantaient régulièrement du lever au coucher du soleil.
Les jeunes femmes faisaient le ciment, les hommes portaient les blocs
de pierre, leurs vêtements étaient élimés,
leur corps frêle mais leur regard était rempli de joie. Il
y a comme cela des regards si purs, si rayonnants, comme nous n'en avons
jamais rencontrés auparavant, qui nous interpellent et que nous
ne pourrons plus jamais oublier. Il y avait dans ces chants, une joie,
une fraîcheur, une gravité qui hanteront nos nuits en quête
de sommeil. En fait, plus que les paysages grandioses, les temples couverts
de feuilles d'or, ce sont bien ces expressions de bonheur et d'amour qu'on
lit sur ces visages qui font, que tous les étrangers furent fascinés
par ce pays. Quand je regarde mon compagnon de voyage, nous sommes pitoyablement
tristes. Arrêtez-vous et restez quelques heures avec eux pour les
accompagner dans leur travail. On ne vous demandera pas l'aumône,
à vous qui avez peut-être sur vous plus d'argent qu'ils n'en
gagneront en 10 ans ou dans une vie, car désormais vous avez pris
conscience que, ce que vous ferez ou vous donnerez ne regarde que vous
seul, c'est votre problème, c'est vous seul qui amènerez
votre âme ou votre esprit dans la voie que vous aurez choisie, et
pourquoi pas dans cette voie que des Tibétains ont su rencontrer
et qui n'est peut-être pas si inaccessible.
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